LES BRIGADES RUSSES SPÉCIALES

en FRANCE et à SALONIQUE 1916-1918

 

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Association Michka 16-18

(Association loi de 1901 -

J.O. du 30/06/2018)

Ru

Traduit en russe par P. P. Pavlitchenko

"Michka 16-18" devient "Brigades Russes 16-18"

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Destins individuels - Témoignages 100 ans après, beaucoup d’archives familiales ont disparu alors que les archives militaires et administratives s'ouvrent à tous ! Aujourd’hui, ce sont les petits-enfants qui essaient de reconstituer  le puzzle, mais pour beaucoup, hélas,  le lien avec le pays d’origine, la famille russe a été perdu… Il semble urgent de rassembler tout ce que nous avons conservé ! Ne perdons pas définitivement le peu de l'histoire, entourée de silence, qui nous a été transmise ! Et le récit individuel s’inscrit dans un récit collectif, historique, et prend tout son sens. Merci aux descendants qui accepteront de partager leurs souvenirs familiaux, c’est un hommage modeste que nous rendrons ainsi à ces hommes qui ont perdu leur pays, leur famille en venant combattre en France ou dans les Balkans.Comment ont-ils appris que leur grand-père ou arrière-grand-père était un soldat russe venu se battre en France pendant la 1ère Guerre Mondiale ?  L'ont-ils connu ?  Ont-ils pu lui parler ? Et lui, parlait-il de son histoire ? Où en sont leurs recherches ?

Feodor Nikolaïevitch MAMONTOFF  

Fils de Nikolaï et de Maria Karatoff

 Né le 8 juin 1892 à Lambasroutcheï (Russie)

Décédé à Dijon (France) en 1974

Histoire des petits-enfants de Feodor Mamontoff

De la Russie à l’oubli, des silences aux recherches,

de la mémoire à l’hommage, enfin !

 

1914-1915 en Russie : à 22 ans le soldat Feodor Mamontoff fait partie du 21ème Bataillon de Réserve.

1916 : en janvier,  il est enrôlé dans la 1ère Brigade Russe Spéciale, appelée à combattre en France. Il laisse derrière lui ses parents, ses deux frères, sa Patrie et ne sait pas encore qu'il ne les reverra jamais.

Dès février, par convois de trains puis de navires, les soldats de la 1ère BRS sont transportés jusqu’à Marseille où ils débarquent en avril.

1916 -1917 : Feodor Mamontoff participe aux combats sur le Front de Champagne.

1917 : en avril, avec la 1ère Brigade, le sergent Mamontoff se bat courageusement dans les offensives meurtrières du Chemin des Dames, notamment en libérant le village de Courcy.

En juin, dans la tourmente du pouvoir russe en place, la contestation gagne les brigades russes. Elles sont retirées du front et envoyées au camp de La Courtine dans la Creuse. En septembre, une mutinerie éclate au sein de la 1ère Brigade et est sévèrement réprimée par les armes. Quelle fut la réaction de Feodor Mamontoff au milieu de ces évènements ? Nous l’ignorons.

 1918 : Feodor Mamontoff  est affecté à la Compagnie de travailleurs militaires 4/2, près de Chartres (27). Il travaille sur les terres du Château d’Houville-la- Branche.  Hasard ou lien direct, le Château d'Houville appartient alors au Capitaine Étienne de Maleissye (État-Major de l'Armée - Mission militaire française en Russie en mars-avril 1917). Il a rédigé plusieurs rapports sur la situation en Russie au moment de l'abdication du Tsar Nicolas II.

Pourquoi est-il resté en France ?

Au château d'Houville, il tisse des liens amicaux avec le personnel du château, malgré l'obstacle de la langue, et rencontre Jeanne qui succombe très vite au charme de ce beau russe aux yeux bleus-gris. Il a 27 ans elle en a 34 ! Jeanne est enceinte, avant même la démobilisation de Feodor. Ainsi il a scellé son destin en France car il n'abandonnera pas Jeanne ! Il ne demandera pas son rapatriement.

Fin 1919 Feodor est démobilisé. Le couple part dans la région d'origine de Jeanne en Côte d’Or, à Gevrey-Chambertin, près de Dijon. Olga naît en avril 1920. Puis des jumelles naîtront en juin 1921 : Marcelle et Réjane (notre mère).

Au Château d'Houville

Feodor cherche du travail mais pour un étranger ne parlant pas le français c’est difficile.

Enfin, début 1922, il trouve du travail comme mécanicien dans une forge à quelques kilomètres de Dijon, à Til-Châtel, où la famille s'installe. Il y restera jusqu'à la fin de sa vie.

Avec peu de moyens, la vie de la famille n'est pas facile, et l'arrivée d'un Russe dans un petit village après la guerre suscite la curiosité et la méfiance. Les filles grandissent, vont à l’école. Elles font leur « Communion catholique ». Réjane, notre mère se souvient « On nous appelait les Russki, on se sentait différentes des autres » Pourtant, Feodor fait tout pour s’intégrer : il continue d’apprendre le français, participe à la vie du village. Il ouvre un petit café.

Il sait se faire apprécier par son courage et sa gentillesse. Son prénom est francisé en Théodore, il met son passé entre parenthèses pour ses filles. Pendant la Seconde Guerre mondiale,  Feodor va participer localement à des actions de Résistance.

Le silence et les regrets

Même si nous l’avons bien connu, nous ignorions absolument tout de l'histoire de notre grand-père. Quand nous étions enfants, le silence était de mise comme dans beaucoup de familles :  Les enfants ne pouvaient pas poser de questions et s’ils le faisaient ils n'avaient aucune réponse. Nous n'avons pas entendu notre grand-père parler de son passé, dire pourquoi il était là ! Même ses filles ne savaient rien !

Après avoir entrepris nos recherches, nous avons interrogé notre mère et avons compris : « Votre grand-mère Jeanne (décédée en 1948) ne voulait pas que votre grand-père parle de la Russie, de sa famille, elle ne voulait pas qu'il voit ses amis soldats... ». « À la maison on entendait parfois crier les loups » est peut-être l’un des  seuls souvenirs qu’il a partagé !

Pendant nos vacances, nous avons souvent pu le suivre dans ses occupations car il aimait cultiver son jardin, aller ramasser des champignons, partir à bicyclette à la pêche ( ah le brochet rusé…), comme sans doute il le faisait chez lui !

C'était notre grand-père russe, notre « Pépère » comme on disait avant.  Il roulait les « r », il suivait l’actualité de la Russie,  il chantait Kalinka, et les airs traditionnels en dansant.  Pour tout cela nous l'aimions. Et ô combien il aimait ses petits enfants !

Que de regrets !

Il décède en 1974, à 82 ans, sans avoir jamais revu

ni sa Patrie ni sa famille

Les recherches et l’hommage

Fin 1994, 20 ans après la mort de notre grand-père, notre mère nous a remis  une petite valise. Elle contenait quelques objets, pas mal de photos, de cartes, une Carte de Réfugié et un album photos de voyage, avec un titre mystérieux écrit en Russe « Через Моря и Океаны во Франции ». Pour nous, toute sa vie  d’alors tient dans cette petite valise !

En 1995, nous commençons les recherches  ! 1ère question : où se trouve son lieu de naissance ?

Après de multiples consultations d’Instituts russes, de bibliothèques... et l’apprentissage du russe pour lire les cartes, nous avons trouvé  Lambasroutcheï en Carélie.

2ème  question : quand et comment est-il arrivé en France ?

Il a fallu beaucoup de recherches et de courriers, en France, en Russie, à New-York,  pour lever peu à peu le voile sur  l'histoire du Corps Expéditionnaire Russe.

 Nos tentatives  de retrouver de la famille en Russie restent vaines, sauf apprendre

qu'il vivait peut-être en Ukraine quand il est enrôlé dans la 1ère Brigade !???

Encore tant de questions ! Où vivait-il au moment de son enrôlement ?

Dans le même temps, de nombreuses archives s'ouvrent à tous. Nous découvrons alors que c'est non seulement l'histoire de notre grand-père qui nous intéresse, mais l'histoire extraordinaire de ces 40 000 soldats envoyés en France et à Salonique en 1916, en plein dans l'enfer de la grande guerre, combattre pour la liberté. Les années du Centenaire nous ont permis heureusement d'honorer leur mémoire et de rencontrer d'autres descendants.

Notre grand-père décède en 1974, à 82 ans, sans avoir jamais revu ni sa Patrie ni sa famille.

Mais il nous a transmis le sang slave qui coule dans nos veines et nous sommes profondément attachés à la terre de Russie, à son histoire, sa culture, sa littérature, sa musique qui nous vont droit au cœur !

Il n'est pas trop tard pour  lui rendre l'hommage qu'il mérite ! C'est ce que nous faisons et, du ciel de sa Russie natale, il nous voit sûrement... Et nous voulons lui dire :

« Aujourd'hui, nous imaginons combien tu as dû souffrir du déracinement, combien tu aurais été heureux de pouvoir nous raconter ta terre, ta famille.... Et répondre à nos questions ! Nous  comprenons enfin  pourquoi ton regard semblait parfois se perdre au loin...... vers la Russie ! ! Ne t'inquiète pas Pépère, regarde-nous, on s'occupe de rattraper tout ce silence et cet oubli de ton sacrifice pour que nous soyons libres aujourd'hui. »

Chez nous, près de sa photo, un peu de terre et de fleurs rapportées de Carélie !

 

Pour toi Feodor, pour vous Vassili, Piotr, Sergueï, Georges, Simon, Stepan, Vladimir... et tous ceux du Corps Expéditionnaire Russe, nous voulons rattraper tous ces silences, tous ces manques, interdire ces oublis de vos sacrifices !  Nous devons continuer à vous rendre une reconnaissance  et un hommage  permanent »

15 octobre 2019

Marie et Ivan Bellegou Mamontoff

Petits-enfants de Feodor Mamontoff

Histoire de la petite-fille de Sergueï Ivanoff

Sergeï Ivanovitch IVANOFF
1ère Brigade d'Infanterie

1er Régiment - 12ème Compagnie

Photos Collection  privée de sa petite-fille Claudine Cimatti

Originaire de Kachira au sud de Moscou en Russie, Sergueï IVANOV est né le 26 Septembre 1893. Il est issu d’une famille de commerçants, son père est un prêtre orthodoxe. 
Soldat au 1er Régiment spécial, il quitte Moscou pour rejoindre la France sur le paquebot l’Himalaya et arrive à Marseille le 20 avril 1916. Il a alors 23 ans.

Sergueï participe aux combats dans le secteur de Reims. Il est blessé lors de l’Offensive Nivelle à Courcy, au cours des combats du 16 au 19 avril 1917. Il sera décoré des médailles de la Croix Saint-Georges du 4ème degré, de la médaille de Saint-Georges du 4ème degré et de la médaille d’argent pour le zèle avec ruban de Saint-Stanislas. 
Blessé à la gorge et à la mâchoire, il est évacué à Paris puis à Granville (Manche). Convalescent à l’hôpital La Concorde de Saint-Servan (35), il y est nommé au poste de magasinier à sa guérison. 

Hôpital de Convalescence

de Saint-Servan-sur-Mer

(Ille-et-Vilaine)

En 1919, il entre au Bureau du Commandant Russe de la Vème Région à Vitré en Bretagne. Démobilisé le 4 Juin 1920, à la fermeture de la Base Russe de Laval, il trouve un emploi de traducteur au tribunal de Vitry-le-François dans la Marne. 
Sergueï se marie en janvier 1921 et fonde une famille de quatre enfants. 
Il travaille à la Faïencerie de Vitry-le-François et obtient la nationalité française en 1935. Il décède en 1947 sans avoir revu sa Patrie.
Il a laissé un journal de guerre  composé du récit de ce périple écrit en vers, de nombreux poèmes et  photos. Il regrettera de ne pouvoir retourner en Russie.

LES FLEURS DES CHAMPS

Près des tranchées et des abris,
Elles poussent, multicolores,
Là où des volées d'obus et de débris
Diffusent le parfum de la mort.
Elles caressent le regard,
Exhalent des arômes épicés,
Là où des obus éclatent et
Déchirent notre armée.
Là, où dans le sang,
Les morts s'entassent et pourrissent,
Les fleurs chuchotent aux vivants
Des mots d'amour et d ‘enchantement.
Fleurs des champs, perlées par la rosée
Au petit matin de l'été,
Avec quels yeux chagrins 

êtes vous regardées,
Par un soldat blessé, oublié des siens,
Caché par les dépouilles de ses camarades?
La bataille fait rage,
Les obus arrosent leurs feuillages de sang,
Et répandent les odeurs répugnantes de la mort.
   

La Canonnade
Le front, près de Reims : au fond de la tranchée
Dort un soldat, seul, allongé sur une misérable couche,
Sourire aux lèvres, emmitouflé dans sa vieille capote.
Il rêve de sa lointaine patrie, voit sa petite maison
Et ses quatre fenêtres.
Une vieille dame l’habite, submergée de tristesse,
Elle attend le retour de son fils bien aimé.
Les sœurs consolent leur chère maman,
Lui chantent des chansons sur l’avenir heureux.
Il reviendra à la maison,
Ce sont les derniers mots du chant.
Elles attendent toutes Serjik, très impatientes.
Il lui semble entendre sonner la cloche du soir
Longtemps, longtemps dans la plaine.
Son rêve est délicieux, il sourit, heureux,
Il rêve de son bonheur passé !
La vieille dame s’est habillée pour la prière.
Elle s’agenouille devant l’icône étincelante,
Prie et fait le signe de croix.
Soudain retentit un énorme bruit, le soldat est inquiet,
C’est dans la casemate qu’il s’est réveillé,
il sent la fumée.

                                                                           Sergueï Ivanov

Dites, par quel miracle,

des fleurs y poussent?
Elles vivent, se multiplient,
Parfumant l'air de leurs senteurs,
Et composent une broderie pleine de vie
Sur cette prairie de l'agonie.
Et là, où d’innombrables sont morts -
Dieu est témoin de cet acharnement -
Elles poussent.
Renaîtront-ils? 
De ma blessure coule du sang,
Adieux mes rêves !
Là gît mon dernier souffle.

J’aspire au calme de Nirvana!
Et là! Et là! Poussent des fleurs!                                  Sergueï IVANOV,  Camp de Mailly    

En terre étrangère

Le soir descend, triste et doux
Des mouettes esseulées volent vers le rivage
Un ciel de plomb plane au-dessus de la mer,
Une chanson douce s’envole,
mystérieuse, vers les nuages.
Ce sont des soldats russes qui l’entonnent,
Des frères, des camarades dans leur quotidien de soldat.
Sur les sombres rochers de Granville,
Où j’apprends ce qu’est la beauté.
Et la chanson s’éteint, voix mystérieuse,
Elle me trouble le sang, ravive ma douleur.
En Russie, en Russie, me murmure à l’oreille 
La mystérieuse, étrangère mais aimable falaise.
Mon cœur frissonne au fond de lui, il s’ouvre,
Mon âme s’envole vers toi, ma Patrie
Chère, bien aimée Patrie, je me consume
Loin de toi je dépéris. 
          Sergueï IVANOV,  Granville le 28 05 1917 

Sergueï IVANOV est transféré  à l’Hôpital de Granville après

avoir été blessé à Courcy en Avril 1917 .

SENTINELLE

Sur le front en Champagne,

dans les tranchées calcaires
Se trouve un simple soldat russe.
Dans ces tranchées sévères et austères,
Cette sentinelle se tient debout. 

Il rêve de sa Patrie lointaine,
Où il a laissé les siens.
Et une profonde tristesse envahit son coeur,
Ils sont si loin de lui.

Une petite mère pleure la nuit en pensant à lui,
Elle murmure une prière pour son fils parti au loin,
« Oh, mon Dieu! Rends-le-moi pour le serrer contre mon sein! »
Alors son coeur se mettra à battre et lui apportera de la joie,
Une larme brillera dans ses cils. 

Elle soupirera profondément, tendra sa main,
Se signera d’une croix, sans fin.
Dieu Tout puissant, sois indulgent!
Procure-lui la santé et de la paix,
Au fils prodigue, pardonne ses pêchés.
Que les larmes de ma mère soient asséchées.      

                            Sergueï IVANOV
    Marmite près de Mourmelon, 22 Juillet 1916    

8 octobre 2021

Claudine Cimatti

Petite-fille de Sergueï Ivanoff

Histoire du petit-fils de Simon Rikatcheff

A LA RECHERCHE DE SIMON RIKATCHEFF, SOLDAT RUSSE 


    Mon grand-père maternel, Simon Rikatcheff, est décédé le 30 octobre 1968.

J’étais profondément attaché à lui. C’était un homme bon. Le fait qu’il soit russe (ensuite naturalisé français) et orthodoxe ajoutait à la fascination qu’il exerçait sur moi.

    Quand je m’adressais à lui, je disais « Pépère ». Quand je parlais de lui, je disais « Pépère Simon » ou « Pépère d’Ancier » (petit village de Haute-Saône, où il a fondé une famille).

    À sa mort, j’allais avoir 18 ans quelques jours plus tard. Je me souviens très bien de lui. Les images sont nombreuses gravées dans ma mémoire.

     Une parmi tant d’autres… Je me souviens d’avoir trouvé dans la grange, au fond, dans quelque recoin, accrochés à un clou, une casquette et une baïonnette. « C’est quoi ça, Pépère ? ». Je crois bien que c’est la seule fois où il m’a dit qu’il avait été soldat durant la Grande Guerre. « Je peux les garder, Pépère ? ». « C’est pour toi. »

     Je m’étais promis depuis longtemps de « faire, un jour, quelque chose, pour toi, Pépère. » 

    Confusément, cela voulait dire partir à la recherche de Simon Rikatcheff, soldat russe. Pour mieux le connaître et pour lui rendre hommage.

   Les archives familiales, recueillies par Maman et conservées pieusement pendant des décennies par moi qui en suis le gardien, contenaient documents civils et militaires, lettres en russe, photos et cartes postales (ayant voyagé ou non) … Elles allaient me fournir de précieux éléments pour mon enquête.

    Celle-ci a débuté en octobre 2014 quand mon épouse Marie-Christine et moi avons décidé d’aller en Champagne au Fort de la Pompelle, au sud-est de Reims, dans la Marne.

Je savais que Pépère s’était battu en Champagne où il fut gazé.

    Ce déplacement, à l’instinct, fut riche en découvertes et en contacts. Il allait être le facteur déclenchant de mon enquête sur Simon Rikatcheff, mon Pépère, qui fut un soldat du Corps Expéditionnaire russe en France en 1916.

    Je découvrais, de façon confuse, qu’il s’était battu dans ces lieux.

Simon Rikatcheff - Семён Ригачев

né le 31 juillet 1891 à Kourino

Commune de Samokroje

Gouvernement de Novgorod

Agent de liaison au 6ème Régiment

de la 3ème Brigade

Dès lors, je décidai de créer un blog qui lui est dédié pour raconter mes recherches et mes découvertes.

     Elles ont été riches en contacts, archivistes, historiens, collectionneurs, etc. Les lectures d’ouvrages, livres et revues, peu nombreux, ont complété mon information.

    Puis il y eut la rencontre avec d’autres descendants, fils, petit-fils, arrière-petit-fils, de soldats russes, mus par les mêmes motivations, mieux connaître l’aïeul, rechercher, qui sait ?, des cousins en Russie.

    Je fis la connaissance des premiers à Courcy le 16 avril 2015 lors du vernissage de l’exposition « Les soldats russes à Courcy en avril 1917 ».

    Petit à petit, un réseau s'est ainsi constitué.

    Au fur et à mesure des recherches, les choses se précisant, je conçus le projet d’écrire un livre, actuellement en cours d’impression : « Simon Rikatcheff, 1891-1968, un soldat du Corps Expéditionnaire russe en France en 1916, mon Pépère »[1].

    Le récit est très personnel, sans aucune prétention scientifique. Il ne s’agit pas de retracer l’histoire du Corps Expéditionnaire russe et encore moins celle de la Grande Guerre.

     Il s’agit tout au contraire de chercher dans quel environnement a évolué mon grand-père. À quels combats a-t-il participé ? Dans quels lieux ? À quels moments ? Pourquoi ? Comment ?

     Sachant ce que je sais désormais, je regrette amèrement de ne pas avoir fait parler davantage mes grands-parents, mes parents, ma tante et mon oncle ! On vit comme si les êtres aimés étaient éternels.

     Un beau jour, on découvre, un peu tard, qu’ils ne sont plus là pour raconter leur histoire ou pour préciser un point de leur parcours.

     Au moins mes enfants et petits-enfants savent quel homme fut Simon Rikatcheff !

                                                                                                                                                                      21 juin 2019

[1]. Le présent texte est tiré du préambule du livre.                                                                                                                                                    Jean-Paul Boulère

Petit-fils de Simon Rikatcheff / Semion Rigatchev

- Le journal du petit-fils de Simon Rikatcheff,  soldat de

la 3ème Brigade du Corps Expéditionnaire Russe en France :

Histoire de la petite-fille de Georges Vinogradoff

Mon grand-père, cet inconnu !

 

    Je n’ai que peu de souvenirs directs  de mon grand-père russe puisqu’hélas je n'avais que 7 ans quand il a disparu. Néanmoins je me souviens d’un monsieur très élégant dans une robe de chambre cachemire  nous distribuant de délicieux chocolats…  Tout le  reste me fut  transmis par mon père qui vouait un véritable culte à son papa  et  à son pays d’origine, la Russie…

    Qu’avait-il retenu mon père, fils de Georges Vinogradoff ? 

 

Né  le 21 avril 1898 dans un petit village de la province de Tver,  il rejoint son frère aîné à Saint-Pétersbourg et s’engage dans l’armée où il sert dans les unités de la Garde. Il se porte volontaire pour les Brigades, au grand désespoir de ses parents !

   À l'âge de 19 ans, il part d'Arkhangelsk et débarque à Brest en été 1917 avec l’unité de renfort de la  2ème Brigade. Il est acheminé dans le sud de la France et rejoint les 2ème et 4ème  brigades à Salonique. Il s’engage ensuite dans la Légion étrangère le 10 juin 1918 à Vodena où il est intégré dans le 1er régiment étranger d’infanterie comme mitrailleur. On le retrouve le 5 juillet 1918 à Lyon d'où il rejoint le front. Il est blessé   le 6 septembre près de Soissons où il est secouru par une infirmière russe. Il est  promu caporal  et reçoit la croix de guerre avec étoile de bronze.  L'infirmière, devenue comme une « marraine de guerre », lui fournira une emploi de chauffeur après sa démobilisation, le 24 octobre 1920...

 

Il se marie en France en 1923 et obtient la nationalité française le 24 février 1927 pour « le sang versé ».

   Tel était, dans les grandes lignes,  le récit familial. Mais sur les brigades, pratiquement rien,  cette histoire restait bien mystérieuse…

Comme beaucoup de ces soldats russes restés en France, le souci primordial avait  été de s’intégrer et de faire de leurs enfants de bons petits Français. D’ailleurs j’ai découvert par la suite que mon grand-père  appelait ses fils et sa fille mes «  enfants français »…

Découvrir qui était mon grand-père, qui était sa famille, les raisons exactes de son départ  de Russie  a été  presque une quête du Graal , une sorte de mission que je me suis assignée. Cela passait nécessairement par la réappropriation de la langue de mon grand- père que j’ai eu ensuite le bonheur d’enseigner.

Ce grand-père, en devenant français, avait perdu son prénom : Egor est devenu Georges, fils d’une famille de six enfants dont il était le  plus jeune fils.

   Mon cher grand-père, je l’ai donc redécouvert, j’ai eu la chance de retrouver toute sa famille, de voir son village natal, les paysages qu’il aimait tant, de fleurir les tombes de ses parents, de recevoir en   « héritage » les lettres qu’il a envoyées à ses frères et sœurs jusqu’à sa mort, de 1921 à 1959 donc…

   Aujourd’hui cette famille séparée, si triste d’avoir perdu le frère aimé devenu comme le héros de la fratrie, s’est retrouvée et c’est tous ensemble que nous avons pu reconstituer le parcours de vie des frères et des sœurs Vinogradov.

   Mon grand-père n’est plus un inconnu, c’est un éternel jeune-homme, amoureux d’une jeune Ania avant son départ de Russie, joueur de balalaïka et d’accordéon. Puis il part pour la France et se marie avec une jolie française Elise et devient ainsi notre grand-père russe….

 18 juillet 2019

Michèle Vagner-Vinogradoff

Petite-fille de Georges Vinogradoff / Egor Alexeïevitch Vinogradov

Georges Vinogradoff - Егор Алексеевич Виноградов

Assis à gauche, en Russie avant son départ pour la France

Né le 21 avril 1898 - Province de Tver

2ème Brigade de renfort à Salonique

Georges Vinogradoff - Егор Алексеевич Виноградов

Après sa démobilisation, en 1921

Histoire du petit-fils de Georges Cléret

                                                                         Georges Cléret "la force du destin"

 

Alain Pavlik Dauthieu est le petit-fils de Georges Cléret, Officier

dans la 1ère Brigade. Son grand-père a servi dans les brigades

russes en qualité d’interprète : il était parfaitement bilingue

puisque son père était français. Comme beaucoup de descendants,

il a peu de souvenirs personnels de son grand-père.

Néanmoins, on ne peut qu'être frappé par son côté romanesque :

un jeune homme vivant en Russie mais d’origine française qui

part combattre en France, sur le sol de ses ancêtres et qui,

en définitive, ne peut rentrer chez lui …

Sa nouvelle vie s’écrira en France où il est enterré.

Alain, malgré le peu qu’il a pu reconstituer de l’histoire de

Georges Cléret est attaché profondément à cet héritage russe :

la langue, la culture et la religion orthodoxe. C’est un « franco-russe »

de fait et de cœur.

Son témoignage est un hommage à son grand-père,

et à travers lui, à tous nos grands-pères russes qui nous manquent tant !

 

Interview de Alain Dauthieu par Michèle Vinogradoff

 

- Alain, que savez-vous du parcours militaire de votre grand-père ? Comment s’est-il retrouvé dans les brigades russes, à quelle date est-il parti, dans quelle unité ?

              Il a été muté en 1916 du 163ème régiment d’infanterie de réserve et affecté à la 1ère brigade spéciale (Général Lokhvitsky) et placé sous le commandement du colonel Diakonoff (2ème régiment), avec grade d'enseigne, puis de sous-lieutenant. Sa fonction : aide de camp.

               Pourquoi ? Il était parfaitement bilingue russe-français. Il a suivi tout le trajet de la brigade du général Lokhvitsky et via Marseille s’est donc retrouvé en Champagne en 1916 et a connu les combats du Front. Pour sa participation aux combats d’Auberives de cette année 1916 il a été décoré de la médaille de l’ordre de Saint Stanislav 3ème classe.

 

- Que connaissez-vous de la vie de votre grand-père en Russie avant son départ pour la France ?

                Malheureusement presque rien, ne l’ayant pas connu.

 

- Il fait partie de ces « Russo-Français » installés en Russie et qui, ironie du destin, va retrouver la terre de ses ancêtres, du fait de ce conflit. Pouvez-vous nous parler de cette famille Cléret ?

              Mon arrière grand-père, Gabriel Eugène Cléret, de ce que m’a relaté ma mère, était français originaire de Bordeaux et a émigré en Russie au 19è siècle. Il s’est marié avec une Russe : 1er mariage franco-russe !!

Son fils, Georges Cléret, mon grand-père donc, né le 12 janvier 1893 à Moscou, s’est marié à Moscou avec ma grand-mère, Chliapina Olga, native (07/07/1895) d’un bourg (Veretia) absorbé en 1932 avec d’autres bourgs pour devenir la ville de Berezniki, dans l’Oural : 2ème mariage franco-russe !!

Ma grand-mère a pu accompagner mon grand-père et a accompli en bateau le périple des troupes russes (Moscou-Dairen en Mandchourie-Marseille).

 

- Qu’est devenu votre grand-père à la fin de la guerre, savez-vous ce qu’il est advenu de la famille Cléret en Russie ?

               Mon grand-père et ma grand-mère sont restés en France et se sont fixés à Arras. Deux filles sont nées, Olga et Irina ma mère. Celle-ci, Française mais d’origine russe s’est mariée avec un Français : 3ème mariage franco-russe !! Mon grand père et ma grand-mère ont divorcé en 1930. Je ne sais pas si de la famille existe encore en Russie.

 

- Que reste-t-il de cet héritage russe pour vous, Alain Dauthieu ? Comment s’est faite la « transmission » de la langue, de l’héritage culturel ?

 J’ai vécu une enfance de petit français normal où l’on parlait français et seulement français. Mais ….il y a eu ma grand-mère ! C’est d’elle que vient mon deuxième prénom (qu’elle souhaitait) : Pavlik, c’est ensuite ses récits. Certes elle me parlait français mais elle me parlait d’un pays mystérieux, l’Oural, où l’on entendait les loups la nuit ! Au collège d’Arras j’ai commencé à apprendre le russe et … je continue aujourd’hui ! Ma passion : la culture russe ! la littérature, la musique, bref tout ce qui est russe. Il m’arrive aussi d’être extrêmement critique vis-à-vis de la Russie, mais pour autant je ne peux pas vivre sans elle !........elle est en moi. L’histoire russe fait, bien sûr, partie de ma passion. Le parcours de mon grand-père s’inscrit dans celle-ci et croise l’histoire familiale.

Comme tous les descendants de ce corps russe en France, je souhaite que ne soient pas oubliés tous les soldats et officiers russes morts pour la France et enterrés à Saint-Hilaire-le-Grand en Champagne et dans d’autres cimetières (dans le Nord : Tourcoing, Lille sud, Haubourdin). Je n’ai pas connaissance de tels cimetières dans le Finistère où je réside actuellement.

Rendez-leur un hommage !

 2 septembre 2019

Alain Pavlik Dauthieu

Petit-fils de Georges Cléret

Georges Cléret - le 1er à droite,

puis le Colonel Diakonoff, puis le Général Lokhvitski

Histoire de l'arrière-petit-fils du Général Lokhvitski

          Un arrière-grand-père et un peu d'histoire....

 

Après la chute de Bismarck en mars 1890, la France et la Russie, à la recherche d'un nouvel équilibre européen, signent une convention militaire d'auto-assistance en août 1892, et ratifient un traité d'amitié franco-russe le 4 janvier 1894.

Le tsar Alexandre III, signataire de ce traité avec le président Carnot, décède la même année le 1er novembre, et son fils, Nicolas II hérite des destinées de la Russie. C'est dans ce cadre d'amitié franco-russe qu'en 1916, Nicolas II désigne Nicolaï Alexandrovitch Lokhvitski, général d'infanterie et mon arrière grand-père, comme chef du Corps Expéditionnaire Russe et Commandant de la 1ère Brigade Russe Spéciale.

Ces troupes, une fois arrivées en France, seront placées sous commandement français.

Les Allemands barrant l'Europe en deux, le voyage n'est pas simple ; alors, embarquement dans le train à Moscou, direction plein Est, traversée du lac Baïkal en ferry-boat, passage en Mandchourie puis arrivée au port de Dairen, japonais à l'époque. Ensuite et après embarquement sur des bateaux français dont le Latouche-Tréville, quelques petites escales : Saïgon, Singapour, Colombo, Djibouti, Suez, et enfin Marseille le 20 avril 1916 après 58 jours de mer. L'accueil y est grandiose, puis remontée sur Paris, descente des Champs-Elysées sous les acclamations des parisiens, puis ensuite, direction le Front de Champagne.

Général Nicolaï Lokhvitski  1867-1933

Avec le Roi du Montenegro

Diplôme de décoration par le Roi du Montenegro

Le sabre du Général Nicolaï Lokhvitski,

avec d'un côté ses initiales :  НЛ (NL)

Remise Légion d'Honneur par le Président R. Poincaré

Début juillet 1916, la 2ème Brigade du général Dieterichs destinée au front de Salonique emprunte la voie du Nord, beaucoup plus courte mais plus dangereuse en raison des sous-marins allemands en Mer du Nord, embarquement à Arkhangelsk et arrivée à Brest deux semaines plus tard après avoir été escortée successivement par les marines britannique puis française. Ensuite, la 2ème brigade rejoint Marseille pour embarquer pour la Macédoine.

La 3ème Brigade du général Marouchevski, également destinée à la Macédoine embarque à Arkhangelsk et emprunte le même itinéraire que la précédente et arrive à Brest puis est transférée sur Marseille. D'ailleurs pour marquer son escale, un obélisque est érigé sur l'esplanade Charles de Gaulle à Brest. En raison de quelques problèmes de discipline, la brigade reste en France et rejoint le front de Champagne .

Enfin, la 4ème Brigade du général Leontieff, destinée au front de Macédoine pour remplacer la brigade précédente embarque en septembre, transite par Brest puis Marseille et Salonique.

 

 

Pendant ce temps, là-bas, en Russie en octobre 1917 se déclenche la révolution bolchévique. Les médias de l'époque n'étaient pas aussi importants que maintenant mais les nouvelles circulaient quand même. Les officiers souhaitaient rester fidèles au tsar.

En revanche, de nombreux soldats cherchèrent à déserter et semèrent le trouble. L'armée française demanda aux soldats russes loyalistes de réprimer très sévèrement les mutins.

Une chapelle et un cimetière russes sont créés à Saint-Hilaire-le-Grand près de Mourmelon. Une Association d'anciens combattants russes sur le front français est créée (ASCERF) et affiliée à l'Union Nationale des Combattants (UNC). Grâce à son travail, elle a réussi à maintenir le souvenir de ces combattants venus de si loin, des « soldats russes morts pour la France ».

A l'Armistice, le général Lokhvitski et son épouse, née Anna Golovine, s'installent au 49, rue Lemercier dans le 17ème arrondissement de Paris où j'ai vécu. Il rejoint ensuite la Russie.

En Russie, les armées « blanches » continuent à se battre contre les « rouges ». Citons les généraux Wrangel , Kornilov, Denikine et l'amiral Koltchak couvrant toute la Sibérie. Nicolas Lokhvitski rejoint l'Amiral Koltchаk qui lui confie le commandement d'un corps d'armée dans l'Oural. Il devient ensuite son chef d'état-major.

Malheureusement, l'aventure capote, Koltchak est fusillé. Nicolas Lokhvitski réussit à rejoindre la France.

De retour à Paris, il donne des conférences et, n'ayant ni solde ni retraite,

il devient emballeur de paquets cadeaux au magasin des "Galeries La Fayette".

Nicolas Lokhvitski repose désormais au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois en région parisienne. En prévision du centenaire, Son Excellence l'ambassadeur de Russie en 2013, Alexandre Orlov, me propose non seulement de rénover mais de remplacer la tombe de Nicolas Lokhvitski, par une tombe de Général, d'autant plus qu'il est désormais classé « héros de Russie ». Réunions à l'ambassade, j'accepte les plans, puis inauguration en novembre 2014.

Je reçois à Brest par deux fois la 1ère chaîne russe, Rossia 1, venue m'interviewer.

Depuis, différents monuments dédiés au Corps expéditionnaire ont été inaugurés, à Paris près du Pont des Invalides où le 11 novembre dernier je rencontre le Président Vladimir Poutine, à Courcy commune située près de Reims et délivrée par les russes, à Marseille pour l'arrivée de la 1ère Brigade, et à Brest dernièrement pour la 3ème Brigade, celle du général Marouchevski .

12 septembre 2019

Colonel BIDAULT Bernard-Noël

Arrière-petit-fils du Général Lokhvitski

Ancien conseiller-réserve du commandement de la gendarmerie maritime

Officier de l'Ordre National du Mérite

Histoire du petit-fils de Pierre Gortchakoff

                                                        Pierre Michel Gortchakoff (1897-1942)

 

 

Pierre Gortchakoff est né à Irkoutsk, le 29 juin 1897, mais grandit à Sretensk, Cité de Transbaïkalie où passe la rivière Chilka, un affluent du fleuve Amour, qui borde la frontière avec la Chine.  Il est élevé par la famille Vassilieff.

Le 20 mai 1916, il est enrôlé dans l'armée russe et rejoint la 2ème Brigade d'Artillerie sibérienne.

Le 16 juillet 1917, il embarqua sur le croiseur auxiliaire Le Lorraine, à Arkhangelsk et débarqua à Brest, le 26 juillet 1917. Il rejoignit Toulon par le train, via Orange et Marseille et embarqua sur le vapeur « Constantin », en direction de Salonique, le 4 août 1917 où il arriva le 17 août.

Pierre (à droite) avec son ami de la Légion

Basile Koutchenkoff

Il fut alors envoyé sur le Front de Macédoine, dans le 5ème secteur le 23 août, où il combattit jusqu'au 18 janvier 1918. Il fut alors envoyé à l'intendance militaire des étapes de Vodena (Grèce) où il resta jusqu'au 13 juin 1918. Le 13 juin 1918, il s'engagea dans un Régiment de Marche de la Légion Étrangère, n°49003, qui faisait partie de la 10e Division Marocaine, qui combattit sur le Front de Champagne, en France et qui fut positionnée en Allemagne après l'armistice. Le 23 février 1919, il doit se présenter à Marseille, au 6e Régiment de Hussards, pour être démobilisé.

Légion Étrangère - Feuillet de Campagne et Ordre de route

Demande d'obtention de la carte de combattant

Dans la cité phocéenne, il va alors travailler comme journalier avec d'autres amis russes, dont Jean Sinitzki, Paul Griaznov ou Basile Koutchenkoff. Il se marie en 1923 avec une italienne, Irène Grisendi qui lui donnera 6 enfants, et va habiter, fin 1920, dans le quartier de l'Estaque, à Marseille, au Vallon du Marinier, toujours habité par les descendants de certains de ses amis russes. Engagé  en 1921 à l'Electricité de Marseille, en tant que charbonnier, il devint chauffeur.

Il garda un contact avec la Russie grâce à la correspondance épistolaire avec son ex- jeune fiancée de Stretensk, une certaine Alexandra, qui se maria en 1918 avec un prisonnier autrichien emprisonné en Sibérie. Partie à Vienne avec son mari, Alexandra Neuntefel écrivit pendant des années à Pierre, pour lui donner des nouvelles du pays et lui exprimer son mal-être.

Pierre, toujours nostalgique de la Russie, s'était fait envoyer une Balalaïka via le consulat russe à Marseille, où il connaissait un certain Victor Cheremisovo.

Pierre Gortchakoff est décédé le 6 janvier 1942, à Marseille, d'une crise cardiaque, laissant une veuve et 6 enfants.

20 septembre 2019

Thierry Giraud

Petit-fils de Pierre Gortchakoff

Histoire de la petite-fille de Vassily Gounine

Mon grand-père Basile est né à Voronej le 02 janvier 1895.

Lorsqu’il est mort en 1966, c’est mon grand-père russe qui disparaissait et je n’imaginais pas que 50 ans plus tard, après avoir rencontré les autres descendants de soldats russes et participé aux cérémonies du centenaire de l’arrivée du Corps Expéditionnaire Russe à Marseille en avril 2016, son histoire allait prendre autant d’importance pour moi.

 

Engagé dans l’armée du tsar Nicolas II, il voyagera durant 3 semaines par le Transsibérien jusqu’à Dairen alors au Japon, pour constituer la 1ère Brigade du Corps Expéditionnaire Russe. Après un long voyage en bateau par le golfe de Corée, Shanghai, Singapour, Bombay, Aden et Port Saïd, il arrivera à Marseille le 20 avril 1916.

Après un passage par le camp de Mailly dans la Marne pour apprendre des rudiments de notre langue et à manipuler les armes françaises, il participera aux

combats de la bataille de la Marne, notamment dans la région de Suippes, puis au fort de la Pompelle près de Reims, et enfin à Courcy pour la prise du Fort de Brimont.

Suite à l’agitation dans les troupes russes au moment de l’insurrection en Russie en février 1917 puis à l’abdication du tsar un mois plus tard, il sera éloigné du front avec ses compatriotes, dans un premier temps à Neufchâteau dans les Vosges, puis au camp de La Courtine dans la Creuse.

Vassily Gounine - 1895-1966

Après l’épisode du camp, il choisira d’intégrer la Compagnie de travailleurs russes. Il sera recruté par un entrepreneur normand avec lequel il travaillera comme maçon à Rouen, sur le chantier de restauration de la cathédrale. Il ira ensuite participer à la reconstruction de la petite ville d’Haybes à coté de Fumay dans les Ardennes, ville qui avait été brulée au tout début de la guerre par les Allemands. Resté dans la région, il travaillera ensuite dans l’ardoisière Sainte Anne à Fumay, à 7 km d’Oignies en Belgique.

C’est dans ce contexte, qu’allant à Oignies avec des amis, il va rencontrer Julia, de nationalité belge, qu’il épousera en 1921. Ils décideront d’habiter en France. Ils auront 8 enfants vivants. A la naissance du premier garçon en 1932, il prendra la nationalité française.

Il quittera son travail aux ardoisières pour devenir mouleur en fonderie à Fumay aux usines Toussaint, puis aux usines Pied-Selle. Etant issu d’un milieu paysan en Russie, il aimait la terre et allait travailler dans son jardin et dans les champs qu’il adorait faucher et faner ; il s’occupait aussi de ses quelques vaches, ses poules et ses lapins avant et après sa journée de travail.

Alors qu’il correspondait jusque-là avec sa mère en Russie, il perdra tout contact avec elle en 1935 après avoir envoyé des photographies de la communion de ses deux ainées. Il a appris auparavant par sa mère que son père est mort du choléra et que son frère a été déporté.

Après cette rupture avec sa famille et la Russie, son caractère deviendra taciturne, il se repliera sur lui-même et entretiendra son jardin secret dans une dépendance de la maison familiale où il conservait notamment ses patins à glace amenés de Russie, et la correspondance avec sa mère.

Le seul lien qu’il entretenait avec son pays natal était son ami Isidore, un Ukrainien arrivé comme lui à Fumay avec la guerre, et avec lequel il échangeait en langue russe.

Après un déménagement, tous ses souvenirs de Russie ont disparu (lettres et photos…). La seule photo de lui en soldat dont je dispose, figure plus haut dans ce document.

Vassily aux champs, où il aimait être

Pour la petite-fille que je suis, mon pépère Basile reste quelqu’un de discret, qui échangeait peu avec moi.

Le seul signe d’affection dont je me souvienne est de le sentir passer sa main dans mes cheveux avec tendresse.

J’ai toujours rêvé d’aller dans cette région de Voronej dont il est originaire pour voir les terres où il a grandi, et éventuellement rencontrer des descendants de sa famille. Ne disposant d’aucun document officiel, l’horizon s’est éclairci après ma participation aux journées du souvenir à Marseille en 2016 et à la Courtine en 2017. Des contacts ont été noués et des pistes de recherche se sont ouvertes.

Les dossiers de naturalisation étaient bloqués à Fontainebleau pour cause d’inondations. Après deux ans d'attente, j’ai enfin pu obtenir son certificat de naturalisation à Pierrefitte-sur-Seine. J’ai ainsi obtenu de nouvelles informations, mais le chemin jusqu'à Voronej sera encore long… et ce d’autant plus que je ne maîtrise pas la langue russe.

 

08 octobre 2019

Annick HÉNON

Petite-fille de Vassily GOUNINE

Histoire du petit-fils d'Anissim Ilitch Otmakhoff

                                                                                                        Qui était le soldat Otmakhov ??????

 

 

 

     Son petit-fils, Gilbert Cahen, comme de nombreux descendants  de soldats des  B.R.F.* s’est engagé il y a quelques années dans une véritable quête du « Graal »  pour connaître et comprendre le parcours  de son grand-père maternel, le soldat Anissim Ilitch Otmakhov. C’est  le « mystère » autour de la naissance de sa mère qui a été le moteur de cette  machine à remonter le temps…

 

     Les recherches  ont été longues, patientes, elles ont fini par donner naissance à un livre « Le temps retrouvé du soldat russe Anissim Ilitch Otmakhov », édité à compte d’auteur.
     

     Le parcours d’Anissim est très emblématique : recruté à Tcheliabinsk, tout comme  le soldat  Alexis Mitrofanoff**, embarqué à Arkhangelsk (Gilbert dans son second ouvrage***  raconte la manière dont s’est effectué l’embarquement des quatre brigades ), il va combattre sur le front en Champagne, d’abord du côté d’Aubérive à l’est de Reims puis en avril 1917 au nord de cette ville dans le secteur du village de Sapigneul .

 

* B.R.F (  brigades russes pour la France) : c’est ainsi que Gilbert Cahen préfère parler du CER, ce dernier n’ayant jamais formellement existé, les 4 brigades ayant été par la suite réorganisées en 2 divisions. 
** On lira sur cette même page le récit de la descendante d’Alexis Mitrofanoff
*** Le second ouvrage est lui aussi édité à compte d’auteur. Il s’intitule « autour des brigades russes pour la France, 1915-1917

 

Au centre

       Après le retrait des brigades du front, il va connaître le destin de ses camarades des  1ère et 3ème brigades, il suit son régiment dans diverses pérégrinations à travers la France. Finalement  affecté à une compagnie de travailleurs, d’abord en Normandie puis, faute de travail suffisant pour occuper tous ces hommes utilement, il est décidé de transférer la compagnie dans l’est de la France.

       C’est à Polaincourt  que le destin d’Anissim croise celui  d’une jeune femme de vingt sept ans, Juliette, nièce du maire du village.

 

         Comme pour beaucoup des soldats et officiers, après le tourment des combats, la vie reprend ses droits et, même si la romance entre Juliette et Anissim ne va pas durer longtemps, on  veut espérer qu’il y eut quelques moments de bonheur et de trêve. Malheureusement  la vie d’avant rattrape  Anissim Ilitch, il lui est impossible d’épouser la jeune femme enceinte  car déjà marié en Russie. Anissim perd son travail de livreur au service du maire de Polaincourt et est renvoyé dans le cantonnement de sa compagnie. La petite-fille du maire, Jeanne, en est fort affectée car le soldat Otmakhov, menuisier de son état avant la guerre, lui fabriquait  de jolis jouets en bois. Il prend alors  sans doute un  dur travail de bûcheron.  

 

        Juliette doit, elle-aussi, quitter la maison de son oncle et accouche en secret le 10 juillet 1919 à Paris d’une fille, Pauline. Après avoir essayé de l’élever seule en Eure-et-Loir,  travaillant  dans diverses places pendant deux ans et demi, elle se résigne à confier sa petite Pauline à l’Hospice des enfants assistés de Saint-Vincent-de-Paul  à Paris.

 

          Le sort d’Anissim suit la même courbe fatidique. On le retrouve au Fort de la Mouche à Epinal (son nom et prénom figurent sur une liste concernant sa compagnie dans l’attente d’un rapatriement en Russie). On peut imaginer sa détresse morale, sa solitude aussi.  Il embarque à la fin de 1919 sur un vapeur à Marseille avec un grand nombre de ses camarades pour Odessa  via Constantinople. On sait également qu’il a écrit à Juliette une carte avant ce départ, leurs destins ont ensuite  définitivement  bifurqué.
          Anissim a rejoint les siens, les archives historiques d’Omsk (Sibérie occidentale) attestent l’existence de trois  filles, Anna, née en 1921, Lioubov, née en 1922 et Maria née en 1925. Où la famille Otmakhov était-elle installée, cela Gilbert  jusqu’à présent n’a pu obtenir ce renseignement de ces mêmes archives, faute de pouvoir fournir un certificat officiel de parenté. 

 

        Qu’écrivait Anissim à Juliette avant de quitter définitivement le sol de France qu’il était venu défendre avec ses camarades en 1916 ? Seules peut-être ses filles  ont eu un élément de réponse, pour Pauline, la mère de Gilbert, le poids de cette histoire familiale a lourdement pesé, il lui a fallu affronter le « mystère » de sa naissance, le révéler à ses propres enfants. Il a fallu beaucoup de courage et de détermination à tous  pour écarter le voile de ce passé familial, pour faire surgir, même partiellement, la silhouette d’Anissim Ilitch. Cette quête a permis à Gilbert de nous restituer dans ces deux ouvrages un épisode de vie de ces soldats de la 3ème brigade. Son dernier ouvrage, quant à lui, a élargi son propos et nous fait bénéficier de ses découvertes, fruit d’un patient et rigoureux travail dans les archives. Un grand merci au petit-fils d’Anissim Ilitch !

                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                                                                                                     Novembre2021

                                                                                                                                                               Texte de Michèle Vinogradoff à partir d’un récit de Gilbert Cahen

Histoire de Vassili Varakine

Dans la tourmente de la guerre, parcours du soldat Vassili Varakine, notre héros !

 

Pour mon mari (décédé en 1988), petit-fils de Vassili Varakine, et ses proches, le silence était la règle imposée implicitement pour tous à la maison.

C’est à Saint-Hilaire-le-Grand, en mai 2016, pour le centenaire de l’arrivée du Corps Expéditionnaire Russe en France, que je rencontre pour la première fois ma cousine Monique, arrière-petite-fille de Vassili Varakine. À partir de cette date, nous allons poursuivre nos recherches ensemble avec passion et enthousiasme, aux Archives départementales et nationales, à l'OFPRA, etc.

Son parcours de vie

 

Vassili est né le 14 août 1887 dans le village de Verkhnaya-Akhtouba (Oblast de Volgograd) relié aujourd’hui

à la ville de Voljski. En 1905, il épouse Théodosie Kumskoff, il a à peine 18 ans.

Ils mènent une vie simple de paysans dans une Russie méridionale encore en paix.

Vassili (assis), avec son ami Michel Kononoff

Vassili est mobilisé en août 1914. Il a 27 ans et part à la guerre en laissant sa femme et ses deux fils : Ivan 8 ans et Nicolas 6 ans. Il est incorporé comme caporal dans le 8° Régiment des Grenadiers de Moscou. Il se bat contre l’Autriche-Hongrie sur le front sud-ouest Russe.

Blessé en octobre 1914, il est soigné à l’hôpital d’Orel. Il repart au combat et est capturé par les Allemands. Il s’est probablement évadé, et nous pensons qu’en 1916 ou 1917 Vassili intègre une unité de renfort du Corps Expéditionnaire.  Il a combattu en France mais il est à nouveau fait prisonnier par les Allemands.

Vassili est libéré le 22 novembre 1918, il a 31 ans. Dans son dossier d’étranger aux Archives de Pau, il est écrit : « Soldat Russe, prisonnier des Allemands, libéré par les Français à Verdun, Base Russe, commandement Français, Compagnie TR de la 18° région ».

Vassili est envoyé avec d’autres prisonniers Russes dans la 18ème Région. Il y restera une année avant d’être envoyé le 23 septembre 1919 à Beaumarchés, petit village du Gers, pour travailler comme ouvrier agricole partageant son sort avec un autre ancien prisonnier Russe évadé d’un camp allemand aux abords de Verdun. Il s’agit de Michel Kononoff, (né au village de Lunino - district de Koursk). Une grande amitié va lier ces deux hommes qui seront démobilisés le 18 novembre 1919 et resteront en France.

L’employeur de Vassili et de Michel Kononoff est un ancien Général à la retraite qui possède un grand domaine. Les deux amis travaillent dans les vignes et les champs.

Cet employeur appréciait beaucoup Vassili. Il a peut-être activé ses relations et être à l’origine de la venue de sa femme et de ses deux fils restés en Russie. La Croix Rouge Internationale de Genève supervisera le voyage. Théodosie a obtenu un passeport soviétique établi à Moscou le 6 septembre 1923. C’est le seul document familial original conservé dans la famille.

Le voyage est long et épuisant ! En train de Tzaritsine (future Stalingrad) à Riga. Et ensuite le bateau jusqu'à Calais. Quels étaient leurs sentiments ? Sûrement un mélange d'angoisse, de joie et de tristesse !

 

De gauche à droite : Nicolas, Ivan, Vassili et Théodosie

Le 23 septembre 1923, après 10 ans de séparation, la famille est enfin réunie. Théodosie a 37 ans, ses fils Ivan 17 ans et Nicolas 15 ans. Michel Kononoff est présent et assiste à cette scène émouvante qu’il n’oubliera jamais et qu’il transmettra à ses filles :

« Théodosie fait face à Vassili et lui dit « Bonjour Monsieur, je ne vous connais pas !!! » Il a revêtu pour cette circonstance un costume et ce bel homme à la moustache soignée lui a fait grande impression. » Ce récit m'a été relaté il y a peu de temps par la fille de Michel Kononoff, elle a aujourd’hui 88 ans et ignorait l’existence du dossier de naturalisation de son père que je viens de lui transmettre.

Installés à Pau, Vassili et son fils Ivan sont menuisiers-charpentiers, son autre fils Nicolas est chauffeur. Ses fils s'intègrent bien et épousent des Françaises. Ils fréquentent l’église Orthodoxe de Pau et peuvent ainsi échanger en nouant des relations.

Vassili décède en 1932 à l’âge de 45 ans. Les deux périodes de captivité, les privations,

l’incertitude du devenir de sa famille restée en Russie durant tout le conflit, ont développé chez lui un état mélancolique.

Théodosie se remarie en 1936 avec Nicolas Nikichine. Elle décède en 1969.

Ma cousine Monique, petite fille de Nicolas, arrière-petite-fille de Vassili, se souvient : « Un jour, mon arrière-grand-mère Théodosie  a voulu coiffer mes cheveux en une belle tresse au bas de ma nuque comme dans la tradition russe.Un soir de Noël, alors âgée de 14 ans, j’ai osé défier le silence. Je venais de recevoir en cadeau un globe terrestre. Je m’adresse à Nicolas (fils de Vassili) et lui dis « Grand-père, montre-moi d’où tu viens !».  Il a pris le globe dans ses mains et me montre un petit point indiquant le village à 30 Km de Volgograd :

« J’habitais dans une ferme, là-bas le sol est plat et le regard se porte loin à l’horizon. C’est dans la Volga que j’ai appris à nager. Je ne voulais pas quitter mon pays, et notre mère a vendu tout ce qu’elle possédait. Au cours de ce long voyage sans retour, nous arrivons en gare de Moscou ou règne une agitation inquiétante. J’ai entendu des coups de canon, c’était encore la guerre ! »

Monique a gravé dans sa mémoire cet instant d’échange presque magique qui n’aura pas de suite. Nicolas était heureux de partager ses souvenirs d’enfance en Russie avec cette petite fille dont la curiosité venait de s’éveiller.

Vassili Varakine a apporté son nom en France. Nous lui devons tous d’être cette famille aux multiples facettes.

Cette mémoire familiale est un précieux héritage. Elle s’enrichira au fil des générations suivantes, passionnées elles aussi par cette histoire.

25 mai 2020

Josiane Varakine, épouse du petit-fils de Vassili Varakine

et Monique Rodriguez Varakine, arrière-petite-fille de Vassili

Histoire du petit-fils de Jean / Arkip Smirnoff

Un secret qui ne devait jamais être découvert

Mon grand-père s’appelait Jean Smirnoff, né le 19 février 1897 à Vornavin dans l’ancienne région de Kostroma, regroupé depuis 1923 dans l’oblast de Nijni Novgorod. Il est décédé le 30 janvier 1977. 

Il y a trois ans, je trouve sur internet le récit d’un descendant de soldat russe dont le parcours ressemblait à celui que ma mémoire d’enfant avait enregistré, à savoir un grand voyage au travers de la Russie, les bateaux qui mettent 55 jours pour arriver en France, les escales, et enfin le débarquement à Marseille sous les ovations de la population !
Dans notre famille personne n’avait enquêté au delà des dires que nous avions entendus. Le grand-père était russe, plus de famille, point !

Le jour de son mariage, le 16 septembre 1919

Les années ont passé, un jour, quelque temps avant sa mort, mon grand-père me demanda de le conduire à l'église de «Notre-Dame-du-Haut» à Ronchamp (Haute-Saône). Bien qu'il soit malade du cœur, je le vis grimper le chemin, avec une ferveur qui m’étonna. Il avait besoin de prier la Vierge qu’il adorait, et de se confesser… À notre retour, sans rien dire, il me légua un cadeau inattendu : une baïonnette, un revolver et un fusil, cachés depuis des décennies, sans plus de détails...

Le temps passe. Marié, des enfants, ayant mûri, je cherchais à combler ce qui m’apparaissait comme un « manque » dans notre famille, alors j'ai demandé à mon père d’écrire, avant qu'il ne soit trop tard, ce qu’il savait de mon grand-père. À ma grande surprise, le récit ne comportait rien, en tous cas rien de plus que nous ne savions déjà. À son propre fils, à sa fille, tout comme à sa femme, ma grand-mère, il n’avait jamais rien dit de la guerre, de sa famille qui lui manquait là-bas, et qu’il savait ne jamais revoir.

Je demandais alors quels documents il avait laissé. Et malheureusement, là non plus presque rien. Trois enveloppes vides en provenance de Russie, une lettre traduite sans intérêt, une carte postale de La Courtine, un livre de liturgie en slavon sur lequel une inscription de sa main.

Mais heureusement une photo !

C'est cette photo qui m’intrigua, car cinq personnages numérotés figuraient sur cette photo. Derrière, à chaque numéro un nom. Mais aucun de ces personnages  ne semblait faire partie de sa famille ??? Qui étaient-ils ?

 

1 - C'est moi Stepan (le nouveau mari de Evdokia)

2 - Ma femme Evdokia

3 - Notre fils Apolin

4 - Notre gendre Artem (le mari de Natacha)

5 - Notre fille Natacha (qui est la fille de Evdokia

et de mon grand-père)

Photographiés à Tonkino en 1937

Pourquoi un homme qui avait eu ce destin n’avait rien gardé,  rien laissé, rien  dit ? Et ce qu'il nous transmet semble ne pas avoir de rapport avec lui. Avait-il des choses  à cacher ? Pour moi, il y avait matière à chercher, je me mis en quête d'informations à partir de ce peu d’éléments. C'est grâce à son dossier de naturalisation que j'ai trouvé des informations précieuses !
Son père Fédor Seminovitch et sa mère Pelagia Gruzdeva ont cessé de correspondre avec lui à la fin des années 1930 sans plus de précisions. Il avait un frère Andreï, de 3 ans son aîné.
En Russie, il était sur le Front des « Carpates » où il a été blessé,  puis en septembre 1915 dans le 201ème régiment de réserve d’OREL. Soldat de 1ère classe, il est engagé dans la 1ère Brigade du Corps Expéditionnaire, il est gravement blessé le 5 avril 1917 lors des opérations de libération du village de Courcy par les Russes (près de Reims) juste avant la dernière offensive du 17 avril commandée par le général Nivelle, et avant les évènements qui ont conduit à la mutinerie de La Courtine. Evacué à l'hôpital Michelet à Vanves (près de Paris), puis à l'hôpital de Bordeaux, il reste plusieurs mois dans le coma,  suivis de 25 jours de convalescence. Envoyé à la Compagnie de travail 7/9 à Salins-les-Bains dans le Jura, il est mis en « congé sans solde » en septembre 1919.

Impossible à ce jour d'en savoir plus en France.  J'ai alors décidé d’aller en Russie dans le village où il est né, en mai 2019. Ne parlant que quelques mots de russe, j’ai pris contact avec l’Alliance française à Nijni Novgorod, une interprète  Lioubov  m’a accompagné dans ce voyage d’une vie ! Auparavant j’avais pris contact avec la mairie qui m’avait confirmé que dans le village vivaient  encore deux familles Smirnov, et que l’on m’attendrait si je venais.
Après 7 heures sur les routes russes, je rencontrais Nina Smirnova, qui n’avait pas connu mon grand-père, et le nom « Jean » ou Ivan ne lui disait rien. Alors je lui ai montré la seule photo que je possédais. Et là oh miracle, elle nous dit qu’elle connaissait  la femme !
Elle savait que cette femme, Evdokia, s’était mariée avec un homme du village,  un soldat parti faire la guerre en France (mon grand-père) et qu’ils avaient eu un enfant, Natalia !
Nina se souvenait très précisément  de cette histoire dans ce village de vingt habitants, car  Evdokia, l'épouse de mon grand-père, a reçu une lettre de lui expliquant qu’il était prisonnier en France et qu’il ne rentrerait jamais en Russie. À ce titre il lui rendait sa liberté.
Et enfin, j'ai appris qu'il ne s’appelait pas Jean mais Arkip Fedorovitch Smirnov. On nous montra aussi le cimetière où Evdokia était enterrée. 

Nous venions de mettre à jour le secret de mon grand-père qu’il croyait enfoui à jamais !
Mon père, le fils de Arkip, avait donc une demie-sœur, Natalia, et moi une tante.
Aujourd’hui je continue mes recherches pour retrouver des descendants avec l’aide de ce témoin Nina et

des autorités de Tonkino qui m’ont proposé leurs services, avec  accès aux archives facilité.
Une partie de ce grand puzzle a été rempli en Russie, et ce serait miraculeux de retrouver des petits cousins russes

à partir de cette histoire !!!

5 août 2020

Gérard Smirnoff, petit-fils de Jean/Arkip Smirnoff

Histoire de la petite-fille d'Alexis Mitrofanoff

De la Sibérie occidentale au sud -ouest de la France 
Parcours et destin du Soldat Alexis MITROFANOFF ( 1895-1974)

Mon grand-père Alexis est né le 04-02-1895 à TCHELIABINSK,   fils  de Ivan MITROFANOFF et de Fiokla RYABOV .
En août 1914, au moment des hostilités contre l’Allemagne, ce jeune homme instruit est alors âgé de 19 ans .
En 1916, il est probablement dans le casernement militaire de Tcheliabinsk quand l’état-major russe s’affaire

pour recruter des soldats volontaires pour constituer la 3° Brigade Spéciale du Corps Expéditionnaire Russe .
Ces hommes vont être dirigés sur le Front Est français autour de Verdun, après des accords Franco-Russes . 

Alexis MITROFANOFF, qui possède toutes les aptitudes requises,  est affecté à la 3° Brigade, 6° Régiment, 3° Bataillon, 12° Compagnie. Il a belle allure dans son uniforme et respecte scrupuleusement les usages militaires.
Il a le grade de sous-lieutenant. Les soldats partent de Tcheliabinsk par trains spéciaux et se rendent jusqu’au port d’Arkangelsk. La météorologie est favorable, la traversée est possible par la Mer Blanche débarrassée de sa banquise.

De là, ils voyagent par bateau et arrivent à Brest, grand port militaire français, en septembre 1916.
Il est alors dirigé vers le camp de Mailly pour apprendre les rudiments de notre langue et pour manipuler les armes françaises .
Son unité participe à de nombreux combats. En Avril 1917, au fort Douaumont près de Verdun, il  est grièvement blessé au bras gauche et restera mutilé jusqu’à la fin  de sa vie.

À gauche

Après l’abdication du Tsar Nicolas II, Alexis est retiré du front avec d’autres  combattants. Ils sont dirigés dans  un petit village du sud-ouest de la France à LIT et MIXE (LANDES). Ces hommes forment une compagnie de soldats travailleurs sous la responsabilité d’un officier interprète Russe. Alexis devient bûcheron et récolte la résine des pins pour l’industrie locale .
Il rencontre Amélie ma grand-mère native de ce petit village et ils décident de sceller leur destin par leur mariage à Bordeaux en 1919 . Il est alors démobilisé. De leur union est née  une seule fille prénommée Suzanne, ma mère. Alexis Mitrofanoff est très bien intégré et adopte les coutumes françaises. Il devient agriculteur sur la ferme de son épouse.  C’est un robuste travailleur, très estimé dans le village.

Il demande et obtient la naturalisation française en 1930. Ses deux parents sont alors  décédés, mais il a pu échanger quelques courriers avec eux depuis son arrivée sur le sol français.

La barrière linguistique s’est effacée avec le temps. Mon grand-père lisait le journal français chaque jour et parlait  couramment le patois landais. A la fin de sa vie, il avait presque oublié sa langue natale Russe.

En 1948

A l’âge adulte, j’ai eu l’opportunité de faire un voyage touristique en Russie. Curieusement le guide me  dit que j’avais le type Slave, ce dont je suis encore très  fière .
J’ai aujourd’hui 78 ans. j’éprouve beaucoup de fierté et de respect d’avoir vécu mon enfance auprès de cet homme attachant  et chaque jour mes pensées me rapprochent de lui . Quand j’étais une petite fille, j’ai partagé son amour de la nature. Il m’emmenait avec lui pour chasser les alouettes, me nommait les étoiles les soirs d’été. Nous avions une grande complicité et j’éprouvais beaucoup de tendresse pour mon « pépé » .
Il me reste de lui, de merveilleux souvenirs, des photos, des lettres venues de Russie.
La France fut ta terre d’accueil pour construire ta vie d’homme libre. Mais toi seul pouvait accéder secrètement par la pensée  aux paysages grandioses de tes montagnes de l’Oural.

Admiration et honneur à toi mon Pépé !

mars 2021

Colette Mitrofanoff, petite-fille d'Alexis Mitrofanoff

Алексей Алексеевич Любимов

Ceci n’est pas un témoignage familial ; c’est la restitution du parcours de vie d’un capitaine du Corps Expéditionnaire Russe, écrit à partir des renseignements trouvés aux archives militaires de Moscou par M. Andrey Klouchine, historien, et celles qui émanent des Archives Nationales, celles de l’OFPRA et enfin des archives municipales de la ville de Boulogne-Billancourt. 

Alexis Alekseievitch Lioubimoff
est né le 09/11/1890 à Moscou, fils du lieutenant-colonel de l’armée Impériale (retraité à partir du 24/12/1908), Alexis Vassilievitch Lioubimoff (25/01/1859 – ?) et d’Eugénie Massoloff. Il appartient à la noblesse du département de Novgorod.

A l’âge de douze ans, en 1902 il intègre le corps des cadets du comte Arakcheieff de Nijni Novgorod jusqu’en 1910. Puis, il poursuit ses études à l’école militaire Alexandre (école des officiers) de Moscou. Il sort diplômé de cette école, le 06/08/1912 (Diplôme d'excellence) et en tant que sous-lieutenant, il intègre le 179e régiment d’infanterie Oust-Dvinsky dans la ville de Penza.
A la mobilisation de 1914, il est envoyé pour former le 319e régiment d’infanterie de Bougoulma. Il se bat sur le front sud-ouest de l’été 1914 à l’été 1916. Blessé en 1914 et en 1915, il est soigné à la 5e infirmerie de l’Union panrusse Zemstvo puis évacué vers l’arrière pour être soigné au 4e hôpital d’évacuation de Kalouga où il y arrive le 31/05/1915. Il est promu lieutenant.

Transféré du régiment de Bougoulma au 4e régiment spécial d’infanterie, il arrive en France le 27/07/1916 avec les contingents russes du Corps Expéditionnaire. Il est envoyé sur le Front d’Orient et participe aux batailles de la 2e brigade d’infanterie sur le front de Thessalonique dans les Balkans. Il est capitaine du Quartier Général. Le 06/05/1917, après deux blessures, il est évacué en France où il est soigné à Cannes, hôpital Cre 76 puis à la Côte-Saint-André (Isère), hôpital Cre 32. Il est récompensé et reçoit en mai 1917, la Croix de Guerre et le 28/06/1917 l’ordre de St Georges. Il est déjà décoré de l’ordre du Sabre d’Or, de Stanislav  (3ème degré), de l’Aigle Blanc de Serbie.

                                           A la Côte-Saint-André, le 03/04/1919, il épouse sa compatriote Eugénie Kobjeva,

née le 20/12/1893 à Tourgunevo (province de Pskov),  fille de Serge et de Sophie Janouchewska. Au moment de leur mariage, elle est médecin à l’hôpital Cre 32. 
En 1916, Melle Kobjeva termine ses études de médecine à Naples. Elle s’engage comme médecin dans un hôpital russe ; elle a été formée à Rome pour l’armée Serbe. Elle travaille pendant 13 mois au front d’Orient près de Monastir. Mais gravement atteinte par le paludisme, elle est évacuée en France en juillet 1917 pour être soignée à l’hôpital militaire de la Seyne-sur-mer puis, à Cannes à l’ hôpital Cre 76. 
C’est dans cet hôpital, qu’elle est nommée médecin auxiliaire de l’armée française, le 09/11/1917. Elle y reste jusqu’en mai 1918 avant d’être mutée à l’hôpital Cre 32 de la Côte-Saint-André. En juillet 1920, à la désaffection de cet hôpital, elle est dirigée vers l’hôpital militaire à Saint-Genis-Laval près de Lyon ; elle est démobilisée le 27 octobre 1920.

Alexis Lioubimoff est démobilisé en novembre 1919. Après la guerre, il passe par l’école de pilotage et de mécanique d’automobile à Lyon.
En janvier 1921, le couple Lioubimoff arrive à Soissons et travaille au Comité Franco-Américain pour les régions dévastées de la France, pendant treize mois. Mme Lioubimoff est décorée de la médaille d’honneur pour son travail. Ils restent encore à Soissons jusqu’en juillet 1923 ; M. Lioubimoff travaille dans un garage.
En juillet 1923, ils s’installent d’abord à Paris puis le 15/05/1924, au 36, rue Gambetta à Boulogne-Billancourt. Ils occupent un logement de trois pièces d’où, ils ne partiront plus. 
A partir de 1923, M. Lioubimoff travaille comme chauffeur de taxi dans différentes compagnies notamment à la Compagnie Générale des Voitures de Paris. Il est passé par l’école de Taxi de Champerret. Il est à son compte de 1923 à 1929.
Le 03/04/1936, M. et Mme Lioubimoff déposent un dossier de demande de naturalisation. Leur décret paraît au Journal Officiel le 24/09/1939. Dans sa demande, M. Lioubimoff déclare vouloir devenir français car il n’a aucun espoir de retour dans son pays d’origine. Il a un frère dont il n’a plus de nouvelle depuis 1917. Il a certains parents naturalisés français et sa grand-mère est d’origine française. Ils présentent pour leur dossier des références élogieuses notamment celle du Comte Kokovtzoff. Tous les rapports de police mentionnent que les renseignements recueillis sur le couple Lioubimoff sont bons et que leur loyalisme envers la France semble acquis. Ils n’ont pas d’enfants.

Pendant la seconde guerre mondiale, de mai 1940 à février 1941, M. Lioubimoff est affecté au service des transports des colis aux prisonniers de guerre. En décembre 1941, il est ambulancier bénévole au Poste de Secours de la Défense passive à Boulogne-Billancourt.
Quant à Mme Lioubimoff, entre 1940 et 1944, au cours de différentes missions, elle est attachée à la mairie de Boulogne-Billancourt en qualité d’interprète. 
La commission qui agit plus tard, dans le cadre de l’épuration administrative (ordonnance de 27/06/1944) la licencie à la date du 22/08/1944, considérant qu’en tant qu’interprète au service des réquisitions allemandes, elle a favorisé les autorités d’occupation. 
Mme Lioubimoff Eugénie décède chez elle, à l’âge de 53 ans, le 02/11/1946. A son décès, elle occupait un poste d’employée de banque et son conjoint d’employé d’assurances. 
Le 25/10/1947 M. Lioubimoff épouse en secondes noces, Mme Marguerite, veuve Lepelletier, née Yuretzky, le 19/07/1897 à Vilna. Fille d’Anton et de Varvara Samarianoff. 
Alexis Lioubimoff décède dans un hôpital du 14e arrondissement de Paris, le 28/03/1960, à l’âge de 69 ans. Son adresse à Boulogne-Billancourt est toujours la même. 
                                                Il est  inhumé au cimetière de Saint-Hilaire-le-Grand, avec sa seconde épouse.

mars 2021

Andrey Klouchine
Monique Rodriguez Varakine